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Vendredi 11 au soir, la nuit est là et la brume s’est dissipée, laissant apparaitre à bâbord un relief sombre, la péninsule Rallier du Baty ! La mer relativement calme et une lune intermittente nous autorisent à rêver à ce massif sud-ouest des Kerguelen, si rarement arpenté.

Les îles Kerguelen totalisent 7200 km² (presque la surface de la Corse) et réunissent une multitude d’îlots autour de la Grande Terre, au littoral profondément découpé en de multiples baies, presqu’îles et vallées.

Situées à 49° de latitude sud, la réputation des quarantièmes rugissants et des cinquantièmes hurlants s’y exprime très souvent : des vents quasi constants, soufflant jusqu’à 150 km/h voire plus. Bien que les températures hivernales soient généralement positives, le vent accentue très nettement la sensation de froid. Les précipitations sont fréquentes et abondantes.

Le Mont Ross est le point culminant des Kerguelen, à 1850 m. Véritable forteresse alpine, sa première ascension remonte à 50 ans. Plus à l’ouest, la calotte glaciaire Cook culmine à 1049 m.

La base permanente de Port-aux-Français (PAF), dont la construction a débuté en 1949, a été implanté dans un secteur assez plat, côté nord de la baie du Morbihan, dans l’espoir à l’époque d’y implanter une piste d’aviation. Ce projet ne verra jamais le jour. Nous prenons une bonne partie de la nuit pour longer la côte et entrer par la Passe Royale.

Samedi 12 avril à l’aube, le Marion Dufresne est devant PAF ! Les conditions météos sont favorables pour les vols de l’hélico, remettre à la mer le chaland l’Aventure II (de retour de son entretien) et ravitailler en gasoil. Cette livraison de gasoil est importante car, non seulement elle permet à la centrale électrique de fonctionner, mais aussi permet des ravitaillements de bateaux de pêche ou d’autres navires. C’est la seule station à des milliers de km à la ronde !

décollage de l’hélico pour PAF (photo Y. Verdenal)

 

Tous les passagers à bord du Marion débarquent et vont rester trois jours à terre ! Nous mesurons notre chance car cela n’est pas systématiquement possible, cela dépend des conditions logistiques de l’OP et de la météo. Arrivée joyeuse, accueil par Damien Blanchet, chef de district (Disker) de la 75ème mission qui nous précise les consignes pour notre séjour. Nous serons environ 120 sur base pendant 3 jours, un quasi doublement de la population !

La base est constituée d’une cinquantaine de bâtiments à usage d’habitation, d’ateliers ou de laboratoires, regroupés dans un vaste secteur assez minéral d’alluvions basaltiques.

Vol au-dessus de Port aux Français (Photo Loïc Auger)

 

Comme à Crozet, sortir du périmètre de la base nécessite quelques règles de sécurité et de biosécurité. La matinée de samedi, pour ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle, est occupée par la découverte de la base.

Après un premier repas à Totoche, le restaurant de la base, je profite d’une visite organisée par les agents de la réserve naturelle à l’anse de l’Echouage. On quitte le sol minéral de la base pour marcher sur des prairies d’acaena et passer à proximité (mais à bonne distance en raison des mesures sur la grippe aviaire) d’éléphants de mer placides au soleil. Ça fait du bien de marcher et de respirer à plein poumons, et d’admirer, au loin les reliefs entourant le golfe du Morbihan, qui donnent tellement envie de s’y rendre. Mais ce privilège est réservé aux hivernants et campagnards d’été.

une vallée lointaine dans le soleil timide de Kerguelen (photo Xavier de Martin de Viviés)

 

Le soir, c’est la fête à Tiker, le bar à l’étage du restaurant, admirablement décoré des tableaux des missions précédentes, à l’esthétisme souvent original. C’est notamment là que se sent l’héritage de toutes les missions précédentes, dans leur diversité et leur savoir-faire. Après une intervention du Disker sur le programme du lendemain, je fais une intervention comme à Crozet pour présenter l’amicale des missions australes et polaires françaises (AMAEPF), notre rôle et nos publications et pour offrir aussi des « mémoires à plusieurs voix » tomes 1 et 2. Cela permettra d’améliorer le rayon TAAF de la bibliothèque de la base, qui n’est pas très fourni. Je poursuis ma collecte de coordonnées pour ceux qui sont intéressés de recevoir un exemplaire gratuit de notre Revue Australe et Polaire, ou d’adhérer. Comme toujours, une fête dans les TAAF est un régal pour les papilles, l’équipe sortante de cuisine nous gâte avec un buffet formidable. La soirée devient franchement dansante. Une première journée déjà riche en rencontres et en prise d’ambiance !

Dimanche matin, le temps a complètement changé. Vent de force 8, mer formée, grosses averses. Le golfe du Morbihan connait peu de houle mais réagit très vite au vent. Une partie des opérations est stoppée, le Marion est parti faire des ronds dans le golfe.

Avec Armelle Piccoz, la directrice de cabinet de la préfecture des TAAF, et quelques autres, nous allons au bâtiment « CER », à l’écart de la base, où sont stockés des objets du patrimoine historique, notamment de Port-Couvreux et de Port-Jeanne d’Arc. Ce bâtiment désaffecté est un lieu de stockage temporaire. Voir ces anciens morceaux de charpente, ces vestiges d’expédition scientifique ou des objets du quotidien remontant à un siècle est émouvant. Nous partons ensuite au fillod du mat iono. Les fillods constituaient la majorité des bâtiments préfabriquées métalliques lors de la création de la base. Le démontage et la réhabilitation de la fillod du mat iono est projeté par les TAAF pour remontage sur la base en vue de la création d’un musée du patrimoine de Kerguelen. C’est un projet majeur de valorisation du riche patrimoine historique de Kerguelen, qui mérite effectivement un espace dédié accessible aux hivernants et visiteurs.

fillod du mat iono (photo Y. Verdenal)

 

Comme à Crozet, je me rends ensuite à la résidence du Disker pour consulter des archives, en lien avec le projet d’annuaire historique de l’amicale AMAEPF. Damien a mis à disposition des registres manuscrits ouverts dès 1949, recensant toutes les personnes ayant résidé sur base. Ces registres, outre leur intérêt patrimonial inestimable, ont une beauté esthétique. A partir de 1977, certains sont magnifiquement illustrés.

Après-midi, le vent se calme progressivement, le Marion se rapproche du mouillage devant la base pour reprendre les opérations avec l’hélico (slings et ravitaillement de sites isolés).

Des agents de la réserve naturelle accompagnent des visiteurs jusqu’à l’anse du Pacha. Située à l’ouest de la base, cette double anse permet d’observer des éléphants de mer, et quelques manchots papou. La balade est un peu plus longue qu’à l’Anse Echouage, et ravit tout le monde.

manchots papous à l’anse du Pacha (photo Loïc Auger)

les photographes des manchots papous (photo Y. Verdenal)

éléphants de mer à l’anse des Pachas, vue sur le Mont Ross (photo Loïc Auger)

 

Peu avant la tombée de la nuit, le Disker propose à quelques-uns qui n’avaient pas encore eu l’occasion d’y aller, d’emprunter la « route 66 » vers le bâtiment Geophy et du CNES, à environ 3 km du centre de la base. Jusqu’à 2021, le CNES (centre national d’études spatiales) exploitait un radome d’observation. Le site est maintenant désaffecté. Visiter l’intérieur de ce grand radome est étrange. On aimerait donner à ce site une nouvelle activité à la mesure de sa taille et de sa fonction initiale.

le radôme du CNES (photo Y. Verdenal)

 

Actuellement, les programmes scientifiques mis en œuvre par l’Institut polaire Paul Emile Victor à Kerguelen sont principalement, pour les sciences de la terre et de l’univers, la surveillance du rayonnement cosmique (RAYCO), la sismologie, le magnétisme et la gravité terrestre, le niveau de la mer, le suivi du mercure atmosphérique, ainsi que l’étude de la lithosphère de Kerguelen.

Dans le domaine des sciences de la vie, les programmes sont également nombreux : adaptation des oiseaux et mammifères marins au changement climatique, impact des invasions biologiques, écologie comportementale et alimentaire des oiseaux subantarctiques, circulation d’agents infectieux… les lecteurs intéressés pourront se référer au rapport d’activité de l’IPEV de 2023-24 actuellement en ligne sur le site de l’institut.

IPEV_RapportActivite_2023-2024_web.pdf

Parmi les autres activités exercées à Kerguelen, présence de Météo France (un agent) et station Galileo de géolocalisation (j’en reparlerai plus tard).

Au soir, c’est à nouveau une ambiance de fête à Totoche et Tiker, puis dans certains bâtiments de la base, comme le Louison, jusqu’à tard dans la nuit. C’est beau de voir la complicité, la camaraderie, la tendresse entre ceux qui vont rester sur base, et ceux qui vont « prendre le Marion », fin de mission pour eux, notamment l’équipe INFRA, et l’équipe cuisine.

Lundi matin le 14 avril, le temps reste relativement calme. Le Marion a sorti son chaland « Rallier du Baty » pour seconder la livraison de containers par l’Aventure II. Les slings continuent de s’enchainer.

derniers chargements de container sur l’Aventure II, pendant que les membres de la 75è chantent en cœur sur le port (photo Yannick Verdenal)

 

Les visiteurs reprennent l’hélico à partir de 15 h. Les membres de la 75ème mission qui remontent à bord du Marion suivent en dernier… embrassades et larmes, masquées par la musique joyeuse qui accompagne ces au revoir. Fin des opérations maritimes et de répartition des charges sur le Marion vers 19 h. Appareillage à la nuit noire, on quitte le golfe du Morbihan par la Passe Royale et on retrouve la houle du large, cap au nord-nord-est vers l’île Amsterdam !

Merci à Xavier et Loïc pour leurs photos !

Yannick VERDENAL.

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