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Jeudi 10 et vendredi 11 avril 2025, en route pour Kerguelen, cap 105°, par une mer agitée mais sans forte houle. J’en profite pour échanger avec Kevin Nory, agent des TAAF responsable biosécurité sur le Marion.

Depuis 2012, le Marion Dufresne est équipé d’un « sas » biosécurité. Inspecter ses affaires, aspirer, nettoyer et désinfecter ses chaussures ou bottes à chaque escale est rentré dans le quotidien des passagers. En effet, trait d’union maritime entre des milieux très différents (Tromelin et la Réunion en zone tropicale, Crozet et Kerguelen en zone australe, Saint Paul et Amsterdam en zone tempérée), tous les flux de personnes ou de marchandises peuvent être vecteurs de graines, d’insectes ou de pathogènes. A l’intérieur des îles, des mesures de biosécurité ont également été mises en place pour éviter la dissémination d’espèces invasives ou de pathogènes d’un milieu à un autre.

Il est établi que les espèces exotiques envahissantes (animales et végétales) constituent la première cause de baisse de biodiversité globale, pour environ 50%. En milieu insulaire, c’est largement plus important, environ 86% à l’échelle mondiale.

Dans les TAAF, les espèces exotiques envahissantes les plus connues des hivernants et campagnards d’été sont les rats, souris, chats, lapins (dire « bête à longue oreilles » quand on est sur un bateau !), présents sur toutes ou partie des îles. Les dégâts sur les poussins d’albatros, de puffin, de pétrels, de chionis mais également sur les adultes sont innombrables et ont largement impacté les populations. Certaines espèces qui nichent en terrier (puffins, pétrels, prions de Mac Gillivray) ont énormément régressé, comme à Saint-Paul, avant que l’éradication des rats et lapins vers 1996-98 n’y inverse la tendance. La maitrise ciblée des rats via piégeage dans certaines colonies a permis de faire remonter en flèche le succès reproducteur (5 à 70 %) . Cela a été notamment constaté dans certains secteurs des falaises d’Entrecasteaux sur l’île Amsterdam.

De longue date, des personnels dénommés « popchat » puis « mamintro » ont eu et ont toujours pour mission la régulation (piégeage, tir)  des mammifères introduits dans les secteurs les plus fragiles, surtout à Kerguelen.

Côté grande faune, la seule espèce introduite subsistante, après l’éradication vers 2010 des bovins d’Amsterdam et des moutons et mouflons de Kerguelen (île Longue et île Haute), est le renne. Environ 2000 individus constituent dans certains secteurs de la grande île une pression de piétinement non négligeable. Une régulation par chasse est effectuée dans les secteurs sensibles.

Pour l’instant il n’y a pas de projet détaillé d’éradication du rat noir sur Kerguelen, bien que cela pourrait être faisable à moyen terme, car ils sont cantonnés à certains secteurs limités (canyon des sourcils noirs, île longue et Guillou notamment).

Dans le cadre du programme RECI (programme européen « restauration des écosystèmes insulaires de l’océan indien »), Tromelin et Amsterdam ont fait récemment l’objet d’éradications d’ampleur : souris en 2023, après les rats en 2005 pour la première ; rats, chats et souris pour la seconde en 2024.

Ainsi, sur l’île Amsterdam, en avril 2024, une équipe de 16 personnes a été déployée pendant 4 mois. Cette opération a fait appel à des moyens aériens (2 hélicoptères de la compagnie réunionnaise Hélilagon) pour l’épandage des 185 tonnes de granulés contenant du rodonticide sur l’ensemble de l’île, ainsi qu’à l’ONG Island Conservation en tant que consultant technique rompu aux opérations de ce type. L’ensemble de l’équipe a également bénéficié du soutien des 25 hivernants déjà sur place. Ces éradications seront suivies sur plusieurs années pour attester de leur réussite.

Sur Crozet, actuellement sur l’île de la Possession, il n’y a pas d’éradication de prévue. Seul le rat noir est présent, et son impact est limité sur cette île. Une surveillance et des piégeages ciblés sont réalisés.

Côté flore, certains territoires sont très marqués par les espèces invasives, au premier rang duquel le pissenlit à Kerguelen, laissant apparaitre par places un paysage dégradé au moment de la floraison. Dans les îles australes, on dénombre 170 espèces introduites pour 35 espèces natives (spermaphytes, c’est-à-dire des espèces faisant des fleurs). Sur l’île Amsterdam, les rongeurs entravent la régénération naturelle du seul arbre endémique des TAAF, le phylica nitida, en grignotant les jeunes pousses.

Côté pathogènes, la présence du choléra aviaire à Amsterdam, parmi la colonie d’albatros à bec jaune des falaises d’Entrecasteaux, est peut-être en lien avec la présence il y a plus de 25 ans, d’un poulailler sur la base. L’épidémie se poursuit alors qu’elle devrait réduire ou disparaitre d’une année sur l’autre. L’hypothèse la plus probable serait que la présence du rat sur la colonie, porteur du choléra aviaire, joue un rôle dans le maintien de l’épidémie. Depuis l’éradication des rats, souris et chats sur Amsterdam qui a pris fin en 2024, les mois qui viennent sont donc porteurs d’espoir pour une réduction voire une disparition du choléra aviaire sur Amsterdam. A ce jour, le choléra aviaire ne s’est pas transmis à d’autres îles australes.

L’épidémie de grippe aviaire en cours parmi une partie de la faune de Crozet et de Kerguelen se transmet également d’animal à animal. Toutefois, des protections individuelles et des restrictions d’accès sont indispensables pour protéger les hommes et limiter la dispersion entre colonies. Des règles strictes ont été récemment prises par arrêté préfectoral.

Prenant en compte la somme de connaissances scientifiques et de faits observés dans les îles australes, une « stratégie biosécurité » a été adoptée en 2022 intégrant les spécificités de chaque territoire, tous intégrés à la Réserve Naturelle Nationale la plus grande de France, ainsi que le fret maritime. Elle est en élaboration pour les îles éparses et en réflexion pour la Terre Adélie.

La biosécurité s’impose donc pour limiter la dégradation des écosystèmes, en lien avec les autres mesures de restauration passant notamment par des éradications d’espèces animales. Les TAAF sont plutôt précurseurs dans ce domaine.

passage obligé au « brosse bottes » pour éviter la dissémination de graines d’un espace naturel à un autre

 

Yannick VERDENAL.

(Photo : Y. VERDENAL)

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