Jeudi 17 avril à l’aube, l’île Amsterdam est là. Plafond bas, température douce (la mer est repassée aux alentours de 18°C), légère pluie, temps typiquement amstellodamois !
L’île Amsterdam, entièrement d’origine volcanique, est grossièrement de forme ovale. De 55 km² de surface, elle culmine à 881 m au Mont de la Dives. Sa côte est quasi continument formée d’une falaise de 30 à 50 mètres de haut, sauf sur sa partie ouest où le volcan initial s’est effondré et où les falaises montent à 700 m. Ces altitudes provoquent un étagement de conditions météo et des écosystèmes. Au-dessus de 300 m, une nébulosité enserre très souvent la partie haute de l’île. Les tourbières y sont dominantes, y nichent des albatros d’Amsterdam, espèce endémique et emblématique de l’île, dont le faible effectif justifie pleinement des mesures de protection à la hauteur du danger d’extinction. Sur les hautes falaises de l’ouest, dénommées Entrecasteaux, se trouve la plus grande colonie d’albatros à bec jaune au monde. Sur ses côtes, omniprésentes, des dizaines de milliers d’otaries viennent se reproduire.
L’occupation permanente de l’île Amsterdam remonte à 1950, année de la première mission météorologique. Au sortir de la seconde guerre mondiale, la pression était forte pour mettre en place de nouvelles stations météos dans des secteurs dépourvus de toute observation. La base météo, qui a accueilli progressivement plusieurs programmes de recherche scientifique, est localisée au nord-nord-est de l’île, à une trentaine de mètres d’altitude, en contrehaut d’une coulée de lave qui ménage un quai naturel précaire, appelé « la cale ». Dans les années 1980 a été créé un observatoire de la qualité de l’air à 2 km à l’ouest de la base, dénommé « pointe Bénédicte ». Cet observatoire de renommée mondiale, face aux vents dominants, permet des observations continues de la qualité de l’air marin. Les données sur de longues séries temporelles sont notamment exploitées pour alimenter les modèles prédictifs du changement climatique. J’ai eu le plaisir d’y être VAT (volontaire à l’aide technique) pendant 14 mois en 1997.
C’est en face de la base, dénommée « Martin de Viviés », du nom du 1er chef de mission météo, que le Marion stationne ce matin du jeudi 17 avril, pour une durée d’escale prévue de 8 à 9 jours.
Moment particulier et émouvant pour tous à bord, car il y a trois mois, le 15 janvier 2025, s’est déclaré un incendie sur l’île, dans le secteur de Pointe Bénédicte. Ce feu, prenant sur une végétation sèche à cette période de l’année, attisé par un vent fort, s’est rapidement propagé aux alentours de la base, justifiant une évacuation de celle-ci dès le lendemain. En effet, les moyens de lutte sur base ne permettent pas d’affronter un feu d’une telle ampleur. La sécurisation du personnel a été une priorité évidente, en lien avec la préfecture des TAAF. La présence sur zone de l’Austral, navire de pêche à la langouste armé par la société Sapmer, a permis un sauvetage des 31 membres de la 76ème mission présents sur base dès le 16 janvier. Pendant quelques jours, ils ont donc bénéficié d’un accueil à la hauteur des enjeux à bord de l’Austral mais forcément dans des conditions d’exiguïté inhérentes à la fonction première de ce navire, un navire usine de pêche et congélation de langoustes.
Les membres de la 76ème mission d’Amsterdam ont été ensuite transbordés sur le Marion Dufresne, dérouté de sa campagne océanographique. Lors du transbordement, devant l’île Amsterdam, le front de flammes est énorme. Le dôme de feu se voit à plus de 20 miles. Pendant trois semaines, les membres de la 76ème mission sont restés à bord du Marion qui a repris sa campagne océanographique.
L’abandon temporaire de l’île Amsterdam, après 76 années d’occupation permanente, dure donc depuis trois mois, émaillé fin février d’une mission de reconnaissance à bord de la frégate Floréal, de la marine nationale. La reconnaissance a été effectuée par quatre pompiers du SDIS de La Réunion, sept personnels des TAAF dont la cheffe de district, un médecin et des techniciens. Plusieurs d’entre-deux sont membres de la mission 76 et ont donc vécu l’évacuation. Une vingtaine de points chauds sont alors encore observés tout autour de l’île à l’exception des falaises d’Entrecasteaux. Le feu a brûlé près de 55% de la végétation de l’île. Lors du passage du Floréal, est constaté que fort heureusement, les bâtiments de la base n’ont pas brûlé, sauf le bâtiment de la pépinière, la cabane Mataf et l’ancienne cabane Antonelli, surplombant le cratère du même nom. Les chemins de câble ont pour la plupart été endommagés, sans que toutefois, semble-t-il, les organes de production soient touchés (centrale électrique, panneaux solaires). Certaines installations sont déconnectées pour être sécurisées, ou remises en service a minima, notamment la recirculation de l’eau au sein des bâches de stockage pour éviter une dégradation de la qualité de l’eau. Les chambres froides sont vidées de leur contenu. A l’issue de cette reconnaissance, la préfecture des TAAF établit différents critères en vue d’un redéploiement de personnels sur la base.
Jeudi 17 avril débute donc la « sécurisation » de la base. Pour que la décision soit prise de laisser une équipe réduite de 14 personnes, composée majoritairement de membres de la 76ème mission, différentes conditions doivent être remplies (notamment, absence de point chaud menaçant directement la base, rétablissement d’un système de lutte contre l’incendie sur base, rétablissement pérenne de l’alimentation en eau potable, réalisation de coupes feux complémentaires autour de la base).

Premiers slings de l’hélico par un plafond bas (photo Y. Verdenal)
Sur cette OP, se trouve un nombre important d’agents TAAF des équipes INFRA et cuisine qui viennent d’être relevées de Crozet et de Kerguelen. Complété par des agents techniques sous contrat Ipev, des agents Taaf du siège et deux pompiers de la Réunion, cela représente environ 48 personnes qui viennent appuyer les 14 potentiels hivernants.
L’escale allongée d’Amsterdam se déroule donc avec des moyens humains à la hauteur des enjeux. Durant 6 jours, des opérations de remise en service de la production d’électricité, d’eau potable, des télécommunications, des chambres froides nécessitent pour certaines la dépose et l’installation de nouveaux équipements. D’autres personnes sont affectées au nettoyage de tous les locaux, y compris les chambres des hivernants qui ont dû être abandonnées du jour au lendemain. D’autres encore ont pour mission le débroussaillage autour de la base pour entretenir la zone coupe-feu. Les deux pompiers du SDIS débutent leurs recherches de points chauds. Seul le cratère Antonelli, comportant à l’intérieur de celui-ci de nombreux arbres, montre encore des zones chaudes. L’hélicoptère effectue près de 100 lâchers d’eau ciblés d’environ 700 litres. Les agents IPEV s’occupent de nettoyer, inventorier les dégâts, et procéder au démontage des appareillages scientifiques qui vont être stockés sur base ou rapatriés en métropole pour diagnostic.

Test de remplissage de la poche avant lâchers d’eau au cratère Antonelli
Durant 6 jours, la base est donc en grande activité, avec plus de soixante personnes au travail, selon un programme préétabli bien rôdé malgré le caractère tout à fait exceptionnel de l’opération. L’avancement des différentes sécurisations est prometteur. Il s’agit toutefois de ne pas aller trop vite pour éviter une fatigue excessive qui pourrait être accidentogène et mettre en péril l’ensemble de l’OP. En effet certains agents sont en fin de mission et peuvent avoir une fatigue accumulée non négligeable. Rappelons qu’une évacuation sanitaire urgente nécessiterait un départ immédiat du Marion Dufresne pour La Réunion, avec 5 jours de mer, et la suspension de tous les travaux en cours sur Amsterdam. Chaque soir, l’équipe de renfort remonte sur le Marion Dufresne.
Les visiteurs sans contrat restent pour l’instant à bord du Marion Dufresne, comprenant bien l’importance de ce qui se déroule sur base, avec un objectif commun essentiel : réoccuper durablement la base. L’activité favorite de beaucoup est la pêche depuis le bord, autorisée selon les règles de la réserve naturelle jusque fin avril. Les casiers de langoustes ont moins de succès de pêche. L’observation des orques, quasi quotidienne, est un grand moment, surtout lorsque ceux-ci s’approchent de la coque. Leur peau bicolore nous permet d’observer, émerveillés, leur parcours sous-marin.
Les conditions météorologiques de ces six jours ont d’abord débuté par un plafond bas à très bas, qui a limité pendant 2 à 3 jours les reconnaissances par hélico. Samedi a été la pire journée où du vent de sud, en rafales de 50 nœuds, et de fortes pluies ont largement gêné les activités extérieures. Le temps s’est ensuite progressivement amélioré, avec des températures d’environ 15 à 18°C.

Ciel dégagé montrant à moyenne altitude une zone sombre où la végétation brûlée n’a pas encore reverdi. Présence d’orques (photo Y. Verdenal)
Yannick VERDENAL.